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Légende 300 F Cérès, un billet à part
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Claude Fayette, le 07/11/2004

Une valeur inhabituelle pour un billet à la vie éphémère, et cependant cette coupure de 300 Francs est une valeur sûre dans une belle collection, je l'ai même qualifiée voilà quelques années "d'incontournable".

La vente de la collection Delamare en juin 2000 est venue conforter cette affirmation. Les deux magnifiques gouaches originales de Clément Serveau représentant un projet initial recto verso du billet avec la valeur 10Frs, de 9 cm x 14 cm réalisèrent 17000 Frs plus les frais. Une épreuve de 10 Frs du recto atteignait 14000 Frs, alors qu'une autre sur papier fiduciaire recto verso trouvait preneur à 22000 Frs. Le spécimen classique du billet de 300 Frs a été adjugé à 11000 Frs et deux exemplaires de billets en état TTB+ et TTB respectivement 2300 et 2200 Frs. Je suis persuadé qu'un exemplaire neuf aurait atteint voire même dépassé les 6000 Frs au cours de cette vente. L'émission rare du 24 Novembre 1938 portant la lettre W n'apparaissant que très rarement sur le marché surtout en bon état de conservation aurait elle aussi très certainement atteint un prix record.


Spécimen du 300 F Cérès type 1938

Il convient d'ailleurs de redire ici combien ce type de manifestation atteste de la vigueur et de l'intérêt croissant de notre collection. Une grande vente comme celle-ci met au grand jour les valeurs que parfois nous autres collectionneurs acharnés gardons quelque peu par devers nous et permet à d'éventuels nouveaux amateurs d'adhérer à notre passion tout en constatant de façon manifeste que les prix affichés sont réels et parfois même en deçà des enchères portées.

A tous ces différents billets et épreuves tant convoités il faut ajouter des pièces encore plus rares connues en collections privées comme celle du spécimen du "billet définitif" avec la valeur 10 Frs ou encore une épreuve de 300 Frs surchargée en valeur 500 Frs que je ne connais pour l'instant qu'à deux exemplaires.


Spécimen du 10 F Cérès type 1938 (non émis)


Spécimen du 300 F Cérès avec surcharge 500 F (non émis)

Alors pourquoi tant d'engouement pour un billet somme toute peu connu et si peu manipulé dans la vie courante?

Tout d'abord sa valeur de 300 Frs est tout à fait inhabituelle et inusitée dans l'histoire du papier-monnaie Français. Certes, de lointains assignats portaient eux aussi des valeurs originales comme celui de 750 Francs, ou bien des billets de succursales et de comptoirs au début du 19e siècle une valeur de 250 Frs ou encore sous la Commune des billets de 25 Frs, mais le billet de banque tel que nous le pratiquons au quotidien, jamais. De plus ce billet contrairement à tous les autres ne porte aucune date de création sur la vignette ni de numéro de contrôle et possède une numérotation différente, le numéro d'alphabet étant remplacé par une lettre suivie du numéro du billet, de 1 à 1 million imprimé deux fois en haut à droite et en bas à gauche.

La vignette proprement dite est plus conventionnelle. Elle représente sur le recto Cérès, déesse des moissons et de l'agriculture, la tête couronnée d'épis de blé. Sur la partie droite se dessine une frise verticale composée de trois sigles BF enlacés bleus et jaunes sur un fond de feuilles d'olivier et de chêne. Sur la partie droite du verso on peut apercevoir l'effigie de Mercure dieu du commerce et des voyageurs identifié à l'époque classique à L'Hermès Grec.

L'histoire et la vie de ce billet sont aussi originales que sa valeur faciale. Durant l'année 1938 le climat politique international est très agité et le stock de billets dits " de réserve" diminue de façon très significative au point qu'en septembre de la même année la Banque de France décide en toute urgence pour faire face à un éventuel manque de billets de créer deux nouvelles coupures. Il convient d'agir vite et de façon marquante. Aussi les valeurs inusitées de 300 Francs et 3000 Francs sont adoptées de manière à bien différencier ces coupures de celles en cours, étant bien entendu qu'il s'agit de coupures de circonstance devant être retirées dans un délai très court dés le réapprovisionnement des billets courants.


3000 F type 1938 (non émis)

La coupure de 3000 Francs est hâtivement imprimée sur un papier à chèque de couleur vert d'eau, uniface, dont les garanties de sécurité s'avèrent aussitôt insuffisantes. Seul le filigrane à l'effigie de Bayard, identique à celui ayant servi pour la coupure du 20 Francs "Bayard" type 1916 réalisé à partir d'un moulage en plâtre d'une médaille du célèbre chevalier conservée à la bibliothèque nationale est garant d'une relative sécurité.

Celle de 300 Francs est réalisée d'après des maquettes dessinées au début des années 1930 par Clément Serveau, destinées à la création d'une coupure de 10 Francs jamais réalisée. Le papier utilisé est celui restant en stock après la fabrication des billets de 10 Frs "Cérès" type 1915 et comportant donc le même filigrane qui représente un profil de Mercure sur la partie droite.


Gouache - Maquette de Clément Serveau pour le 10 F Cérès

Alors que ces billets sont sur le point d'être émis, les accords de Munich apaisent provisoirement la tension sur le plan international et il est décidé de surseoir provisoirement à l'émission de ces billets.

Au mois d'Août 1944, les autorités allemandes à la veille de leur départ exigeant un acompte sur les indemnités d'occupation, Monsieur Favre-Gilly alors secrétaire général de la Banque de France propose en règlement cette coupure de réserve ainsi que le billet de 5000 Francs dit " de l'empire colonial". Les allemands refusèrent ces billets compte tenu du fait qu'ils n'avaient jamais été mis en circulation, considérant qu'ils n'avaient aucun pouvoir libératoire.

Il faudra attendre le 5 Juin 1945 pour que l'échange des billets oblige la mise en circulation du 300 Frs type 1938 ainsi que le 5000 Frs type 1942 " Union Française" alors gardé en réserve. Ces deux coupures seront rapidement retirées en 1948.

Les trois dates de création mentionnées dans mon ouvrage et trouvées dans les archives que j'ai eu la possibilité de déchiffrer indiquent que 12 millions de coupures seulement avaient été prévues pour la date de création du 6 Octobre 1938 lettres A à M (sans le I) et un million de coupures, lettre W de remplacement, pour la date de création du 24 Novembre 1938 (seuls les 852000 premiers billets seront mis en circulation). La nécessité d'imprimer 12 millions de billets supplémentaires de la lettre N à Z, date de création du 9 Février 1939 fut décidée postérieurement. Les statistiques que nous avons établies pendant plus de 20 ans avec Jean-Paul Vannier permettent de constater que certaines lettres d'alphabet se rencontrent plus rarement et c'est le cas par exemple des lettres E, P, T, X. Les lettres H et Q étant les plus difficiles à trouver, la lettre W restant bien entendu tout à fait à part. Les alphabets les plus répandus sont : D, F, K, L, O, S, V, Y. Il convient de signaler que les billets à l'état neuf portent le plus souvent les lettres D, F, K, O.

Ainsi donc cette coupure originale de 300 Francs occupe une place toute particulière dans nos collections et pourtant rien ne prédestinait ce billet à un tel engouement ni son iconographie somme toute banale, ni ce que sa trop brève existence pouvait évoquer en nous. Seulement la culture des collectionneurs s'est étoffée au fil des années, ce billet contemporain a une histoire originale et il est possible malgré sa rareté d'en rencontrer encore quelques exemplaires en parfait état. Ceux qui n'ont pu débuter leur collection plus tôt regrettent cruellement ce manque dans leur inventaire et espèrent toujours acquérir un jour ce fameux "300 Francs", qu'ils n'attendent cependant pas trop longtemps car il risqueraient à moyen terme d'être obligé de débourser un jour peut-être... 3000 Euros?


Article paru dans la revue Numismatique & Change d'octobre 2000.

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